Je ne sais pas si j’ai eu une vie réussie mais j’ai eu une vie bien remplie….
-Vous savez les souvenirs s’effacent….
-C’est pas grave, je prendrai ceux qu’il vous reste ! C’est Jano qui nous guide pour une expo …….
– Quand j’ai vidé la maison, il m’a demandé s’il pouvait amener des objets à la Fabuloserie, moi je les aurais jetés à la poubelle… Je connais bien Jano, son oncle était marié avec ma cousine. Il était venu à Paris, il avait une bourse de la ville de Paris ; il exposait. J’aimais bien ce qu’il faisait au début, des peintures et des sculptures inspirées du Moyen-Age, après il a fait des sculptures ….(moue dubitative suivie d’un sourire malicieux !)
Jean, on l’appelait le Pec de Matilloun. Matiloun , c’était le sobriquet de mon grand-père, il s’appelait Mathieu et comme son père s’appelait aussi Mathieu on l’avait surnommé le petit Mathieu , Matiloun en occitan. Moi, on m’appelait Claude de Matiloun. Henri était mon oncle, le frère de mon père. Marinette était d’Augirein. Les parents de Marinette s’étaient occupés de la mère de Jean qui était un peu simplette. Quand elle morte, ils ont recueilli Jean.
Il parlait le patois, il n’était pas allé à l’école, il avait toujours un bâton, il faisait semblant de tirer sur les gens. Henri leur expliquait qu’il n’était pas méchant. Il allait dans la décharge, il faisait des assemblages, des « roudets ». Il mettait des chiffons dans les arbres.
Les gens le craignaient, il n’était pas méchant. Il parlait l’occitan seulement avec mon oncle et son épouse et aussi avec moi. Il ne travaillait pas, il faisait sa vie à sa façon.
Henri et Marinette avaient perdu un enfant, c’était un bébé, il s’appelait Hubert, c’était mon filleul. Marinette avait beaucoup souffert à l’accouchement, mon oncle n’avait plus voulu d’enfant car elle avait eu trop mal. Ils s’occupaient de Jean ; ils le nourrissaient, ils l’habillaient « à peu près », il avait un blouson, il mettait ce qu’il ramassait dans le blouson et ramenait tout dans la cour. Il avait des bottes remplies de papier, il portait un béret.
Quand Raoul le faisait conduire il était heureux. Les gens ne se moquaient pas de lui. Mon grand-père ébéniste était très posé et apprécié. Les maires allaient le voir pour lui demander son avis. Un jour, je lui ai dit « pourquoi, pépé, vous ne vous présentez pas aux élections ? » Il m’a répondu « tu sais, si je me présente aux élections, je serai dans un parti politique et je serai fâché avec certains, moi je préfère rester ami avec tout le monde. » Jean a été respecté parce- qu’il avait été recueilli par ma famille qui était respectée. S’il n’avait pas été recueilli par ma famille, il serait allé dans la maison des fous.
Un jour, alors qu’il n’était allé qu’une fois à Saint-Lizier auparavant, Henri et Marinette l’avaient perdu, ils l’ont retrouvé à Ledar, il repartait vers Galey, pourtant il n’était allé qu’une fois à Saint-Girons….. Il avait une chambre, il y avait un bazar ! On ne pouvait pas y rentrer. Une fois, j’ai essayé de vider un peu, il était en colère !
A table, on le servait, il mangeait correctement, il ne parlait pas à table.
Jean était un peu plus jeune que ma tante Marinette, il avait été recueilli par son père qui était veuf. Marinette avait vécu avec lui, elle le considérait comme un petit frère. Mon oncle Henri avait un sale caractère, mais j’étais bien avec lui. Avec nous il était très gentil, nous étions invités à manger, mais moi……(grimace) j’aimais pas trop ! Il y avait une grande salle, une grande cuisine, un réchaud à gaz.Le soir ils faisaient cuire dans un grand chaudron des pelures de pomme de terre et des betteraves pour le cochon. Pour savoir si c’était cuit on plantait un bâton.
A l’époque, il y avait beaucoup de prunes, de la « goutte d’or ». On faisait de l’eau de vie de prunes à Galey et à Saint-Jean. A Saint-Jean, elle était meilleure qu’à Galey. A Galey , tout le versant de la montagne était cultivé, du blé, des pommes de terre, de l’orge, des betteraves pour le cochon…… Henri et Marinette avaient des vaches………
Du fait de parler, il suffit d’un mot et il y a tous les mots qui reviennent……..
A Paris, j’allais voir ce que faisait Jano. Il avait exposé au Musée d’Art Moderne. Lolie faisait des broderies. Il y a au moins 10ans que je ne l’ai pas vu. J’avais des documents qu’il m’avait confiés, je ne sais plus où ils sont, dans un grenier peut-être mais j’ai déménagé plusieurs fois et j’ai vendu les maisons, Paris, Saint-Jean, Castillon…Je pense que ces objets ont été jetés. Il fallait avoir l’esprit de Jano pour les garder. C’est Jano qui m’a fait intéresser à tout ça. J’ai vendu la maison de Galey à Patricia, c’est elle qui a tout récupéré. Elle a transformé la maison. Elle m’a invité un jour, ça m’a fait mal au cœur. Mon grand-père paternel a construit cette maison, les pierres viennent de la carrière de Saint-Lary…..
Je suis allé à l’école professionnelle. On nous donnait des bleus de travail tout neufs, les anciens nous appelaient « les bleus ». J’étais avec Albert Ribet. J’étais menuisier, puis suis devenu maquettiste, modeleur. A Paris, j’habitais à côté du Conservatoire des Arts et Métiers, j’y allais par curiosité, puis je me suis inscrit et j’ai passé les certificats, je n’ai pas passé la thèse. On habitait Paris, où j’ai connu Alain Bourbonnais. Il exposait à Dicy ; je ne sais pas si j’ai réussi ma vie, mais elle a été bien remplie. J’étais curieux, tout est là ! Je voulais savoir le pourquoi des choses ; quand on me disait « ça marche pas » je disais « pourquoi ? » et quand il avait trouvé pourquoi ça marchait pas, il avait trouvé la solution. J’ai même été responsable de satellites !
J’ai horreur d’écrire !
Cette photo, c’est ma femme, mon épouse, j’aime pas dire ma femme, elle ne m’appartient pas. Nous vivions à Castillon. On allait dire bonjour à Galey, mais, bof, j’aimais pas ça rester manger avec eux…..
Claude